En ce mois de juillet 2025, la Côte d’Ivoire entre dans une phase charnière de son histoire politique. Tandis que les lignes du pouvoir se dessinent lentement, une nouvelle génération de figures politiques investit l’espace public avec des ambitions nationales parfois présidentielles, parfois citoyennes, mais toujours stratégique
À l’heure où l’usure des anciens récits politiques se fait sentir, la communication devient un levier central : comment se dire autrement ? Comment capter une population jeune, critique, connectée, lassée des discours figés ? Le langage politique n’est plus un simple art oratoire ; il est devenu une architecture stratégique, capable de construire ou d’effondrer une ambition.
C’est dans ce contexte que plusieurs personnalités émergent. Chacune à sa manière incarne une tentative de rupture, de renouvellement ou de continuité réinventée. Mais leur légitimité ne se mesure plus uniquement à leur parcours ou à leur ancrage partisan : elle se jauge à leur capacité à porter autrement l’outil politique, à créer un lien réel avec la population, et à proposer une vision économique claire, apte à répondre aux défis sociaux et structurels du pays.
C’est cette aptitude à réconcilier action politique, lien citoyen et transformation économique qui fera demain la différence entre ceux qui suscitent une adhésion durable, et ceux qui ne feront que traverser l’actualité.
Voici une lecture exigeante de leur communication politique.
1. Tidjane Thiam : la stature sans la présence.
S’il fallait incarner, en une seule figure, la rigueur, l’élégance intellectuelle et la réussite internationale, nombre de regards ivoiriens se tourneraient spontanément vers Tidjane Thiam. L’homme impressionne : par son parcours hors normes, sa maîtrise des codes de la finance globale, sa réputation bâtie au sein des plus hauts cercles décisionnels. Il inspire confiance, rassure, impose.
Son retour en politique a, logiquement, suscité un regain d’intérêt, voire d’enthousiasme chez ceux qui voient en lui un vecteur de réhabilitation du mérite, de l’efficacité et du sérieux dans la gestion publique. Pour beaucoup, il incarne une figure dans la lignée du président Alassane Ouattara. Mais là où ce dernier a su catalyser une attente populaire en se présentant comme l’homme des solutions concrètes, Tidjane Thiam peine à faire sentir sa présence autrement que par des discours structurés, maîtrisés, mais souvent déconnectés de l’émotion collective.
Sa parole demeure figée dans une posture institutionnelle, rigide, presque froide, s’adressant davantage à des cercles restreints — actionnaires ou partenaires économiques qu’à une population en quête d’écoute et d’incarnation. Ses interventions, bien construites, visent à convaincre, mais rarement à entraîner. Il parle à l’intelligence, rarement au cœur. Il expose, mais ne rassemble pas. Il affirme, mais ne fédère pas encore. Or, à l’heure où la politique est autant affaire de narration que d’orientation, cette absence de récit partagé l’éloigne d’une large part du corps social.
Le peuple ivoirien n’est plus un peuple passif. C’est une population jeune, lucide, résiliente et inventive, qui contribue déjà, souvent à bout de souffle, à l’édification de l’économie nationale. À ce peuple, on ne promet plus des milliards ni des miracles. On crée du lien. On démontre une compréhension sincère de la dureté du quotidien. On parle moins pour briller que pour faire corps avec les luttes, les doutes, les espérances.
En s’intégrant aux dynamiques du PDCI-RDA, Tidjane Thiam a certes démontré une capacité d’adaptation. Il a su manœuvrer au sein des jeux d’alliances, des rapports générationnels, des équilibres internes. Mais dans cet exercice, il a peu à peu effacé ce qui faisait sa singularité : sa capacité à transcender les lignes partisanes pour incarner un espoir transversal. S’il parvient à habiter l’espace politique, non pas seulement avec expertise, mais avec humanité, alors il pourra devenir plus qu’un technocrate de talent : un homme d’État — au sens plein — capable de parler à tous, d’Abidjan à Korhogo, de Yopougon à Man, et d’incarner un cap collectif, concret et sensible.
2. Koné Tiémoko Meyliet : la parole suspendue, ou l’art du silence stratégique
Gouverneur de la BCEAO devenu vice-président de la République, Koné Tiémoko reste une figure discrète, voire énigmatique. Sa communication politique est marquée par la sobriété, la retenue, et une prudence assumée. Sa parole, loin d’être expansive ou populiste, incarne stabilité, loyauté et continuité dans un système présidentiel encore incertain quant à son avenir électoral.
Dans un contexte où le président Ouattara n’a pas encore clarifié ses intentions, cette discrétion n’est pas un défaut, mais une posture stratégique misant sur la construction lente d’un capital politique. Sa communication vise les sphères institutionnelles, plus que l’opinion publique — une stratégie de fond plus que de forme.
Cette approche, fondée sur la loyauté et la maîtrise des codes étatiques, interroge néanmoins sa capacité à mobiliser une jeunesse en quête de renouveau et de visibilité. Dans ce sens, Koné Tiémoko incarne à la fois la continuité nécessaire et un défi majeur : ne pas rester dans l’ombre, mais émerger comme un leader capable d’incarner l’avenir, en prise avec les réalités populaires.
3. Assalé Tiémoko : le citoyen empathique face aux exigences du leadership politique.
Journaliste d’investigation devenu député-maire, Assalé Tiémoko s’impose comme l’une des voix les plus libres, incisives et redoutées du paysage politique. À travers ses prises de position publiques et ses interventions en ligne, il incarne une figure à la croisée du lanceur d’alerte, du militant civique et de l’élu engagé.
Sa communication repose sur un triptyque redoutable : dénonciation des abus, appel à la vérité, quête de transparence. Son langage, direct et sans fioritures, s’inspire du journalisme. Il ne cherche pas à séduire, mais à réveiller, informer, interpeller.
Ce style tranche avec celui des figures politiques classiques. Assalé ne parle pas « comme un politique », mais comme un citoyen en lutte, troquant la distance bureaucratique pour une indignation partagée. Cette posture lui confère une authenticité précieuse, surtout auprès des jeunes, des intellectuels critiques et des déçus des partis traditionnels.
Mais la question reste posée : la dénonciation suffit-elle à bâtir un projet politique ? Comment passer de l’alerte à la proposition, du contre-pouvoir à l’exercice du pouvoir ? Une critique même juste ne peut constituer à elle seule une alternative crédible. Elle doit s’accompagner d’une vision, d’un programme structuré et d’un récit fédérateur.
Le défi d’Assalé Tiémoko est donc clair : convertir sa rhétorique de vérité en un projet politique articulé, capable de dépasser son cercle naturel de sympathisants. De sentinelle du système, il peut devenir l’un de ses refondateurs à condition d’entrer dans l’ère du projet.
4. Vincent Toh Bi : le citoyen empathique et pédagogue.
Vincent Toh Bi incarne une figure singulière dans le paysage politique ivoirien : celle d’un homme profondément ancré dans l’écoute, proche des populations, dont la communication se distingue par sa douceur, son humanité et sa pédagogie sociale. Son discours s’écarte des codes classiques de conquête ; il cherche plutôt à se reconnecter aux réalités concrètes du quotidien.
Il adopte une posture horizontale du pouvoir : il parle avec les citoyens, et non à eux. Cette nuance installe une relation de co-construction, où le politique devient médiateur plutôt qu’imposeur.
Cette posture lui vaut un attachement affectif dans l’opinion, notamment chez ceux qui aspirent à un renouveau éthique de la politique. Mais une communication présidentielle ne peut se limiter à l’empathie ou à la proximité. Elle exige vision, cap, autorité symbolique.
La tension est donc stratégique : comment conjuguer cette éthique relationnelle, qui fait sa force, avec l’affirmation d’un leadership clair, capable de rassembler et de gouverner ? Le citoyen empathique devra, s’il le souhaite, devenir un leader visionnaire capable non seulement de comprendre les douleurs du peuple, mais aussi de tracer, avec lui, un chemin ambitieux et fédérateur.
5. Jean-Louis Billon : le réformateur libéral à la communication segmentée
Jean-Louis Billon articule sa communication autour d’une vision économique libérale qu’il présente comme levier majeur de transformation. Il s’adresse à un pays à développer, avec les outils d’un entrepreneur convaincu des vertus du marché et du rôle du secteur privé.
Cette posture lui confère une légitimité auprès des milieux d’affaires et d’une classe moyenne émergente. Sa parole est claire, rigoureuse, sans populisme. Mais elle reste segmentée. Elle touche peu les couches populaires, les jeunes en quête d’identité politique, les femmes, les travailleurs informels ou les agriculteurs souvent absents des récits économiques classiques.
Dans une société où l’économie se vit comme une lutte quotidienne, une communication purement technique ne suffit plus. Il faut incarner une émotion, une espérance, une vision capable de rassembler au-delà des élites économiques.
Le défi de Billon est donc d’élargir son registre : traduire ses ambitions libérales en récits populaires, rendre tangibles ses propositions pour le citoyen ordinaire, et articuler performance et solidarité. Dans une Côte d’Ivoire jeune, urbaine et connectée, l’efficacité économique ne suffit plus : il faut désormais habiter le quotidien, incarner une promesse, et faire des réformes une expérience vécue et partagée.
6. Ahoua Don Mello, technocrate de la réserve stratégique.
Ahoua Don Mello est aujourd’hui l’un des profils les plus solides et les plus cohérents de la scène politique ivoirienne. Représentant officiel des BRICS pour l’Afrique centrale et occidentale, vice-président du PPACI en charge de la promotion du panafricanisme, ancien ministre de l’Équipement et de l’Assainissement sous le gouvernement du président Laurent Gbagbo et une figure stratégique de l’aile gauche souverainiste panafricaine.
Sa parole politique est rigoureuse, conceptuellement construite, et nourrie par une vision claire : celle d’une Afrique réconciliée avec elle-même, forte de ses ressources, affranchie de ses dépendances systémiques, et bâtie sur une dynamique de développement endogène. Son positionnement s’inscrit dans une ligne cohérente, celle de la souveraineté économique, institutionnelle et technologique, au service d’une pensée panafricaniste pragmatique. À ce titre, Ahoua Don Mello incarne une verticalité intellectuelle que peu de figures politiques ivoiriennes portent avec autant de constance.
Mais dans un paysage politique de plus en plus façonné par l’exigence de proximité, son principal défi ne tient pas à la densité de sa pensée, mais à sa faible exposition et à son déficit d’incarnation auprès du grand public. Il parle rarement. Il choisit ses interventions avec prudence. Et lorsqu’il s’exprime, c’est dans un langage de haute technicité, davantage orienté vers les sphères géopolitiques et les élites militantes que vers la population large, mouvante et connectée d’une Côte d’Ivoire en pleine mutation.
Cette posture, fidèle à ses convictions, peut paradoxalement le maintenir en retrait dans un contexte où la communication politique repose de plus en plus sur la construction d’une figure présente, accessible, ressentie. Les citoyens d’aujourd’hui n’attendent pas qu’on leur expose des théories de transformation. Ils attendent une parole politique qui s’inscrive dans leurs réalités quotidiennes.
Ahoua Don Mello ne doit pas renoncer à la hauteur de sa pensée. Mais il lui faut désormais la traduire. Traduire la complexité en clarté, sans la trahir. Traduire la souveraineté en actions visibles. Traduire le panafricanisme en gestes locaux.
Il n’est pas question ici de populisme ou de marketing. Il s’agit d’ancrage stratégique. Si Ahoua Don Mello souhaite durablement peser dans les équilibres politiques à venir, il doit apparaître, dialoguer, incarner. Il doit sortir du silence tactique pour entrer dans la narration politique. Non pas pour séduire, mais pour résonner avec un peuple qui ne le connaît pas encore assez pour le ressentir.
Car dans une époque où les figures politiques émergentes doivent conjuguer compétence et incarnation, l’un des plus brillants profils de la gauche souverainiste ivoirienne ne pourra affirmer son influence qu’en assumant une présence plus lisible. Une parole qui laisse une trace et un lien qui crée une mémoire.